dimanche 21 novembre 2010

KKT: ni à prendre, ni à laisser (2ème partie)

Les deux thèses qui m'ont fait mettre de côté KKT sont celles qui concernent la prostitution et la pornographie. Et honnêtement, non pas parce qu'elle défend les deux, souhaitant légaliser la première, mais parce que son argumentaire est incohérent à bien des égards. Les deux domaines sont les plus grands médias de l'humiliation des femmes (avec la publicité), je ne vois pas comment y faire entrer une once de féminisme. Despentes aurait pu éventuellement me  convaincre du contraire si sa théorie n'avait pas comporté des failles abyssales et si je ne l'avais soupçonnée, devant tant de mauvaise foi, de défendre ce qui la fait (ou l'a fait) bouffer.

Pour parler de pornographie, elle s'appuie sur la réaction d'une centaine d'hommes de profils divers face aux questions de David Loftus (Watching sex, how men really respons to pornography). Tous en ont gardé un bon souvenir (!!!) à l'exception de deux homosexuels. Elle en déduit que ce qui choque dans la pornographie c'est qu'elle révèle sans détour ce qui nous fait fantasmer sans passer par la case "raison", les deux homosexuels ayant été gêné par le fait qu'ils se sentaient attirés par les hommes "mais sans l'avoir clairement formulé".

Les hommes aiment la pornographie, n'en sont pas choqués, donc c'est une idée de culs-coincés, qui refusent de voir leur libido en face, que de penser qu'elle est néfaste. Quel raccourci simpliste. Et quelle étrange façon de pratiquer le féminisme que de mettre de côté l'avis des femmes qui, dans leur grande majorité, n'aiment pas la pornographie. Pourquoi ? Parce qu'elles ne s'y retrouvent pas, parce que leurs fantasmes à elles n'existent pas dans la pornographie. Parce qu'on est en présence d'une imagerie créée par et pour les hommes, qui viendra me dire le contraire ? Combien de réalisatrices connues dans ce milieu, à part elle dont le film, médiatisé, a soulevé les plus vives critiques d'ailleurs ? Tous les gang-bangs réunis n'ont pas fait parler autant que ce film. Ca ne t'a pas effleuré, Virginie, que tu touchais là à une prérogative masculine: humilier et dominer à travers la sexualité ? 

Plus loin, Despentes parle des hardeuses, les actrices de films X, et déplore "l'agressivité avec laquelle on [les] traite". Je la rejoins sur sa réflexion, condamnant vivement toutes les violences à leur encontre, mais reste perplexe quand elle dit ne pas comprendre "pourquoi le corps social s'acharne à en faire des victimes, alors qu'elle ont tout pour être les femmes les plus accomplies en matière de séduction" ... Elle qui, à longueur de pages, s'insurge contre la féminité qu'on lui a imposée toute sa vie, elle pour qui la "chaudasserie" (sic) de notre époque n'est rien d'autre qu'une façon, pour les femmes, "de s'excuser, de rassurer les hommes: 'regarde comme je suis bonne, malgré mon autonomie, ma culture mon intelligence, je ne vise encore qu'à te plaire' ". A ses yeux, plaire aux hommes, adopter le "look chienne de l'extrême", "mutiler [son] corps" et "l'exhibe[r] spectaculairement" serait alors anti-féministe et syndrôme de soumission en temps normal et un acte militant dans le cadre de la pornographie ? Formidable ...

Toujours à propos de la pornographie dont elle défend les pratiques les plus violentes comme le gang-bang (ce billet est finalement plus long que prévu, je reviendrai sur la prostitution dans une troisième partie), elle affirme qu' "il est évident que beaucoup de femmes mouillent à l'idée de se faire violenter, gang-banger ou baiser par d'autres filles". Pourtant, dans le chapitre qu'elle consacre à son viol, elle incrimine l'éducation judéo-chrétienne d'avoir semé chez elle le fantasme du viol: "Les saintes, attachées, brûlées vives, les martyres ont été les premières images à provoquer chez moi des émotions érotiques. [...] Ces fantasmes de viol, d'être prises de force, dans des conditions plus ou moins brutales [...] ne me viennent pas "out of the blue". C'est un dispositif culturel et prégnant et précis, qui prédestine la sexualité des femmes à jouir de leur propre impuissance, c'est-à-dire de la supériorité de l'autre, autant qu'à jouir conte leur gré, plutôt que comme des salopes qui aiment le sexe". C'est précisément en accolant "salopes" et "aiment le sexe" qu'elle parle comme un curé de campagne et c'est précisément en défendant les pratiques humilantes de la pornographie qu'elle prend le parti de ce qu'elle dénonce par ailleurs: l'auto-soumission masochiste des femmes. Une balle dans le pied et, encore une fois, une des plus curieuses façons que j'aie vu de militer pour la cause féministe.

Enfin, et pour en terminer avec cet article auquel je ne parviens pas à mettre un point final, je voudrais m'arrêter sur son interprétation de la scène qui a réuni Paris Hilton et Jamel Debbouze sur un plateau télé. Pour elle, le "Toi, je t'ai vue, je t'ai vue sur internet" qu'il lui a lancé en parlant des ses frasques sexuelles comme une façon de la réassigner à sa place de femelle n'aurait pas eu l'effet escompté ... trop riche, trop au-dessus de tout, et encore plus d'un type issu des classes pop, pour être déstabilisée. Zéro réaction, pas un sourcil levé de la part de Paris. Peut-être, il n'empêche que l'appartenance à son sexe lui a permis de l'invectiver à ce sujet. Quelle femme, même blindée de fric, peut en faire autant ? Jamel Debbouze, c'est celui qui évacue sa haine en traitant toutes les femmes de putes et de salopes, riches, pauvres, inaccessibles ou pas. Rien, jamais, ne l'empêche de dire "je t'ai vue à quatre pattes" et de mettre, c'est pathétique, les rieurs de son côté. Rien ne les empêche, et encore moins le rang social, de faire de notre sexualité un enjeu de domination, ils ont le lexique dans leur camp (pute, chienne ou salope). Sur le terrain de la pornographie, il y a une chose qui est indépassable à l'heure actuelle, c'est la vision tordue qu'ont la plupart des hommes de la sexualité et le coeur qu'ils mettent à en faire une guerre dont les femmes seraient les victimes, quelle que soit leur origine, leur compte en banque ou leur physique.

Le problème avec Despentes c'est qu'elle est beaucoup lue, justement parce qu'elle est beaucoup décriée, c'est pourquoi je trouvais nécessaire de remettre son propos en perspective, celle de l'intérêt personnel. Elle a fait son beurre sur la pornographie, elle a subvenu à ses besoins grâce à la prostitution. On ne crache pas dans la soupe ...

8 commentaires:

  1. Et oui et je crains qu'elle ne doive sa médiatisation qu'aux compromis (con promis) envers ce qui font partie des premiers fonds de commerce de cette société après la voiture : la prostitution et la pornographie.

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  2. Très bon billet avec lequel je suis d'accord évidemment (comment ne pas l'être ?) ; Despentes rejoint là la tendance de l'époque à présenter la pornographie et la prostitution comme des métiers "normaux et acceptables" pour une femme ; d'ailleurs ça gagne du terrain, puisque j'ai eu l'occasion il y a quelques jours de voir Judith Bernard (à Arrêt sur Images) l'interviewer et lui sortir cet argument de "femme libérée, pas coincée pour deux sous" que véhicule la pornographie et qu'elle avait l'air de partager ! Despentes qui a vécu de la pornographie et de la prostitution quand elle ne trouvait pas d'autre travail (ceci explique peut-être cette auto-justification, c'est difficile de se renier) n'avait plus trop l'air d'approuver. Mais bien d'accord avec toi, elle est lue, connue, influente, donc l'effet peut être absolument délétère sur son public.

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  3. @ Euterpe

    Je rajouterais à tout ce qui fait vendre le trash et la violence ... et Despentes est passée maître en la matière.

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  4. @ Hypathie

    "Despentes qui a vécu de la pornographie et de la prostitution quand elle ne trouvait pas d'autre travail (ceci explique peut-être cette auto-justification, c'est difficile de se renier) n'avait plus trop l'air d'approuver."

    Oui, c'est ce qui se passe avec les prostituées qui disent être fières de l'être (mieux vaut assumer qu'avoir à affronter la honte et je le comprends tout à fait).

    Elle n'avait plus trop l'air d'approuver ? Y a de l'espoir, alors. Comme Ovidie, qui nuance désormais ses propos au sujet de la pornographie, Despentes a brandi la prostitution et la pornographie comme des actes de rébellion contre la classe moyenne coincée(et intello pour Ovidie) dont elle est issue. Il est tout à fait possible, les enjeux de classe ayant changé, qu'elle reconsidère tout ça à la lumière des régressions machistes actuelles.

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  5. Juste une petite précision concernant la vision de la prostitution par despentes et sa pratique (par elle-même). Dans le livre que tu cites, la prostitution a été pour elle une sorte de cheminement suite à son viol. C'est même je crois indissociable. Je crois que c'était une façon pour elle de régler aussi qqs cptes avec les hommes, de dépasser l'épreuve du viol qu'elle a subi. C'est une démarche qui lui est propre. Sans m'avancer, sa pratique de la prostitution qui fut brève et soft est comme un acte de reconstruction personnelle. C'est ce que j'en avais compris suite à la lecture de son livre.
    Par rapport à la critique que tu fais d'elle et son côté trash, ne pas oublier que V.Despentes est issue des mouvement punk.

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  6. On ne crache pas dans la soupe, ou parfois on a du mal à se remettre.
    J'ai lu KKT aussi et je ne peux pas cautionner ce qui y est dit. Les passages sur la porno et la prostitution sont rédhibitoires pour moi même si ce qu'elle écrit sur le viol me parle. Ca ne tient pas la route 2 secondes pour toutes les raisons que tu pointes. En même temps, quand je pense à tout ce que l'on peut pense, dire, faire, écrire quand on est complètement détruite et qu'on s'est "sentie femme" même avec un couteau dans la poche...

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  7. @ Romane

    Despentes dit à un moment dans le livre que le viol ouvre la voie à la prostitution: "une fois qu'on est entré par effraction" c'est sa formule exacte. Pas étonnant quand on sait que 90% des prostituées ont subi des violences sexuelles. Le problème, et elle le dit à demi-mots, c'est que ça ne résout rien ... au contraire. Défendre une activité qui prend racine dans le crime qu'est le viol, c'est tout bonnement malhonnête. De toutes façons, j'écrirai un troisième billet sur KKT et la prostitution.
    Quant à son côté punk, les Riot Grrrls sont aussi issues de ce mouvement et sont réellement féministes.

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  8. @ Alice

    Oui, c'est exactement ça le problème avec Despentes, c'est qu'il y a des passages d'une force extraordinaire, celui sur le viol notamment. Ce que je lui reproche, c'est de militer pour la pornographie et pour la légalisation de la prostitution pour les mauvaises raisons. C'est comme si je militais pour la violence conjugale parce qu'à moi, personnellement, ça me permettrait de régler provisoirement des comptes avec mes névroses.

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